L’Himalayan en terre inconnue
La Terre des lions, était une étape importante pour moi. De nombreux voyageurs l’évitent par crainte ou par coût financier – le visa coûte 100 dollars américains – et passent directement de Guinée Conakry vers la Côte d’Ivoire. La Sierra Leone m’a toujours interrogée. Les photos de la guerre civile affichées dans mon collège restent gravées dans ma mémoire. Je voulais donc savoir ce qu’est devenu ce pays qui a si mauvaise réputation de par les films et de par son histoire.

Mon passeport en poche, je suis obligé de payer une taxe pour l’utilisation du réseau routier dont je m’acquitte avec plaisir car la route est parfaitement goudronnée dans la majorité des régions du pays (les Chinois ayant rénové la plupart des infrastructures routières).
Les premiers kilomètres sont parsemés de feux de brousse, parfois gigantesques. Les flammes recouvrent le bitume de part en part dans le but de faire de l’agriculture sur brûlis.
Ma première étape est la ville de Lungi située sur une corniche faisant face à Freetown, capitale du pays. Alors que j’arrive à la périphérie de la commune, je roule derrière un véhicule avec sonorisation complète qui émet de la musique pour stimuler une centaine de coureurs gravitant autour.
Les Sierra-Léonais sont très souriants et m’accueillent à bras ouverts. Ma première nuit me permet de découvrir la boisson locale le « Beeta Kola », un alcool très fort d’une provenance inconnue mais très apprécié par les habitants. Son goût rappelle aussi celui d’un médicament !

FreeTown, une capitale à taille humaine
Le lendemain, écoutant mon esprit d’aventure, je décide de rejoindre Freetown non pas par la route mais par bateau.
En effet, chaque jour partent des Ferry faisant la liaison entre les deux villes. Ce fut une expérience formidable ! J’achète mon ticket pour l’équivalent de 5 dollars US et j’embarque dans un bac flottant surchargé de voitures, de motos et de passagers. La traversée qui dure une heure environ est animée d’un show comique et de danses réalisées par un travesti. La foule hilare débarque avant les véhicules. Je débarque à mon tour à Freetown dans l’optique de visiter la ville et d’obtenir le visa pour mon prochain pays : le Libéria.
Malgré mes recherches, je n’ai pas réussi à obtenir un hébergement via Couchsurfing et je me décide à prendre un hôtel au bord de la plage le temps de pouvoir faire la procédure du visa. En effet, celle ci va durer deux jours.
Freetown est une ville très intéressante qui compte seulement un million d’habitants mais ses rues étroites rendent le trafic très dense. La plage est longue et parsemée de bars très ouverts semblables à ceux présents dans le film « Blood Diamond », lieu idéal pour savourer un verre de « Jack » au bord de mer.
Je termine les formalités et au moment de régler ma note d’hôtel, je me retrouve avec le même problème qu’en Guinée Conakry. En effet, le léone (la monnaie locale) est quasi égal au franc guinéen (1€ pour 1000) alors que le billet le plus grand n’est que de 1000 léones. De ce fait, me voilà avec 60 billets dans mon sac ! Par ailleurs, cela a pour conséquence que la majorité des banques de la capitale se retrouvent rapidement à court de liquidités.
Muni de mon visa pour le Libéria, je laisse derrière moi la capitale pour m’installer quelques jours au SurfCamp de Bureh Beach.
Bureh Town le paradis des surfeurs
La route est agréable mis à part une trentaine de kilomètres de travaux qui rend l’aventure plus pénible.
La Sierra Leone est un pays très vallonné avec des collines immenses et une présence marquée de la police, ce qui en fait un territoire très sécurisé. La plupart des Sierra Léonais parlent beaucoup et très vite. Lorsque je les questionne au sujet de la guerre, beaucoup me répondent que cette histoire est derrière et que le pays va de l’avant. Avec la révolution télévisuelle, il y a désormais la première génération consommatrice de télé-réalité : « Housemate », ce Big Brother Sierra Leonais, est diffusé 24h/24 sur tous les écrans.
Mon séjour à Bureh Town a duré 5 jours. Le SurfCamp est situé dans un magnifique endroit entre l’océan et les montagnes. Durant mon séjour, je rencontre des personnalités très atypiques dont Steve, un anglais de 60 ans, Rastaman, qui a prévu de rester 6 mois en Sierra Leone. Je rencontre aussi Francis, un jeune surfeur Sierra Léonais, dont les skills n’ont rien à envier aux surfeurs californiens. Je profite de mon passage pour surfer et réaliser quelques vidéos à l’aide de mon drone.
Quelques jours plus tard, je salue toute la team et roule vers la ville de Kenema non loin de la frontière avec le Liberia. Une fois encore, je quitte le campement tardivement et me retrouve à rouler de nuit, avec pour seul éclairage des feux de brousse qui illuminent le ciel étoilé. Je suis arrêté par un check point de la police. Surpris de voir un touriste à cette heure, l’un des policiers armé, probablement saoul, tente de me demander de l’argent mais son collègue plus raisonnable l’en dissuade. Arrivé en ville, je décide de rester deux nuits pour reprendre des forces. Avant d’affronter la route menant au Libéria.
En effet, je commence à comprendre que les traversées de frontières en Afrique sont difficiles. Je m’arme de courage et me mets en chemin non sans appréhension.
La route est finalement clémente, car une entreprise chinoise est en train de la réaménager. J’ai juste l’impression de rouler au beau milieu d’un chantier pendant une cinquantaine de kilomètres. Lorsque j’atteins le poste Sierra Léonais, un agent du service d’hygiène tente, sous prétexte que je ne suis pas vacciné contre le choléra, de me prendre de l’argent. Il m’explique qu’il est obligatoire d’être vacciné contre cette maladie pour entrer dans le pays, ce qui est complètement faux. Comme il se fait tard, je me déleste de mes quelques billets restants pour qu’il annote sur mon carnet de vaccination international un numéro de vaccin sans m’avoir pour autant réellement vacciné.
Le Libéria, le cinquante-et-unième état des Etats-Unis
Je n’ai désormais plus un sous un poche, je me plains une fois arrivé au poste frontière du Libéria de l’incompétence et de la corruption de leurs voisins et collègues sierra-léonais. Une douanière ressemblant à Whoopi Goldberg (du film Sister Act), en uniforme de shérif américain, renonce à me faire payer une taxe et me souhaite la bienvenue dans ce pays dirigé par un ancien joueur de football de classe internationale, Georges Weah.
Le drapeau du Libéria ressemble à s’y méprendre à celui des Etats-Unis, à l’unique différence qu’il n’a qu’une seule étoile. Pour l’histoire, une association Etats-Unienne – The Society for the Colonization of Free People of Color of America – plus connue sous le nom de American Colonization Society, avait acheté des terres sur l’ancienne « Côte du Poivre » et avait proposé à des Afro-Américains, descendants d’esclaves noirs et affranchis, de s’y installer. Cette nouvelle forme de colonisation a été une des pires de l’Afrique de l’Ouest ; les nouveaux arrivants reproduisant à l’époque le modèle qu’ils avaient subi aux Etats-Unis, en réduisant les populations autochtones en esclavage.
Je décide de passer mes premiers jours au Libéria dans la ville côtière de Robertsport. Un endroit magnifique entre un lac et l’océan. Les plages de sable blanc et les anciens bâtiments en ruines rappellent le tourisme passé et les stigmates laissés par la guerre civile.

Il n’y a ni électricité ni eau courante ni même station essence. Après plusieurs kilomètres de piste, je rejoins cette ville et installe ma tente au bord de l’océan sous un gigantesque arbre appelé le Coton Three. Aucun touriste à l’horizon, je rencontre Maurice, un Libérien professeur de surf, la nuit de mon arrivée. Il m’aide durant mon séjour en me louant une planche et en me faisant découvrir la ville. Etant dans l’impossibilité de retirer de l’argent – il n’existe aucun distributeur dans la ville – ma copine me fait un virement Western Union pour ainsi récupérer de l’argent dans la seule banque de la ville.
Surprise ! Le Libéria utilise trois monnaies différentes :
- Le dollar US
- Le dollar libérien (« le liberties ») de Charles Taylor
- Le dollar libérien de Ellen Johnson Sirleaf (la successeur de Charles Taylor)
Sachant que le dollar libérien est en proie à des fluctuations majeures (1 dollar US équivaut à 200 liberties en 2019), la plupart des Libériens annonce des prix de vente en dollar US. Le banquier me donne donc un mélange des différentes monnaies qui sont parfois difficilement reconnaissables si on n’y prête pas attention…
Robertsport a ceci dit beaucoup d’attraits, le lac Piso est magnifique, les poissons qu’on y pêche sont délicieux, les plages de sable blanc sont désertes (je n’ai pas rencontré le moindre touriste) et les vagues sont parfaites pour le surf.
Un Italien marié et vivant au Libéria m’accompagne à plusieurs kilomètres de mon campement et me fait découvrir une situation irréelle.
Un énorme pétrolier d’une société coréenne échoué au bord de la mer, abandonné par son équipage nigérian. Pour l’anecdote, ces derniers n’ayant pas reçu leur solde depuis plusieurs mois, ils ont décidé d’échouer leur bateau et de vendre leur cargaison, avant de prendre la poudre d’escampette !
Après quelques jours passés à Robertsport, je décide de dire au revoir à mes amis et de rouler vers Monrovia, passage obligé pour faire mon visa pour la Côte d’Ivoire, le pays voisin.
L’accueil à la Nigérianne
Monrovia est une ville où les hôtels sont excessivement chers (120 dollars US minimum pour une nuitée) je décide donc d’utiliser le site web Couchsurfing et je trouve le profil d’un Nigérian dit Abba l »‘Américain » qui est disposé à m’héberger dans son appartement. Mon hôte me donne rendez-vous au niveau de la plage où il travaille comme manager d’un bar près de l’ambassade des Etats-Unis.
J’entre avec ma moto dans Monrovia, ville quelque peu chaotique. Comme je me perds dans les faubourgs de la ville, un Libérien à moto m’accompagne gentiment jusqu’au point de rendez vous. Le bar de mon hôte n’était pas réellement ce à quoi je m’attendais… plusieurs rastas et jeunes libériens fréquentent cette plage car c’est le seul endroit où il est toléré de fumer de la marijuana – sa consommation étant illégale au Libéria. Une cinquantaine de badauds encerclent ma moto et semblent heureux de voir un touriste parcourant l’Afrique .

Abba me salue puis propose gentiment de déposer mes affaires et de boire un verre en attendant qu’il termine son travail. Je discute ainsi avec plusieurs Libériens et un expatrié Guinéen de Conakry qui me racontent leur emploi respectif et leur espérance de jours meilleurs.
Tout à coup, un policier des forces spéciales entre dans le bar et à ma grande surprise ne semble pas inquiet par les différentes fumées de joints de marijuana. Il me lance « Ne vous inquiétez pas Sir, je travaille pour votre sécurité ! ».
Après la fin du service de mon hôte, nous prenons mes affaires et la moto pour rejoindre son habitation. Avant de partir, il m’explique qu’il a du déménager faute de moyens pour payer sa chambre.
Il habite désormais une chambre qu’il partage avec d’autres Nigérians. Nous marchons environ 5 minutes dans un dédale de ruelles non pavées, jonchées de tuyaux d’évacuation. Les maisons sont enchevêtrées les unes aux autres.
Abba me laisse son matelas et va dormir avec deux autres Nigérians de l’autre coté. Je m’aperçois le lendemain matin qu’il a dormi par terre avec un autre de ses colocataires pour me laisser le confort du matelas.
Nous visitons le musée national du Libéria qui est un des plus intéressants et un des plus beaux que j’ai visité pour l’instant en Afrique de l’Ouest, puis je récupère mon visa à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Monrovia et je me mets en route pour la frontière.
Il y a deux options pour rejoindre la Côte d’Ivoire : soit longer la côte jusqu’à la ville d’Harper mais l’état de la route me semble incertain et il n’y a pas de pont pour franchir le fleuve Cavally séparant les deux pays, soit passer par le centre du pays et rejoindre Danane, le chef lieu le plus proche de la Côte d’Ivoire.
La traversée de la forêt tropicale
J’opte pour la deuxième option avec une halte dans un village pittoresque. Les villageois m’accueillent avec grand plaisir et me font visiter leur commune où l’on observe de nombreux champs et de jolies cascades. Ils me parlent de l’or du Libéria qui existe en grande quantité et qui est majoritairement exploité par les multinationales. Les paysans, quant à eux, tentent d’en récolter une infime quantité dans les rivières pour vivre.

Le lendemain je m’arme de courage et je me lance sur la route pour la Côte d’Ivoire. Je quitte le tarmac pour m’élancer à travers les pistes forestières du Libéria. Je croise beaucoup de chercheurs d’or près des rivières. Les scènes sont parfois irréelles pour notre époque. Je passe beaucoup de villages et me perds souvent. Lorsque je décide de demander mon chemin, certains habitants me prennent pour un missionnaire.

Je me retrouve enfin à une intersection menant à deux postes frontières différents, l’un semble plus proche d’après Google Map (mais dans ce genre de situation faut-il utiliser Google Map ? me dis-je à moi-même). Harassé par la chaleur, j’entreprends de passer par cette petite piste, et une fois arrivé au poste frontière le douanier famélique refuse de me laisser quitter le territoire car il n’a pas de tampon de sortie…
Résigné à faire demi tour je parcours encore une centaine de kilomètres à travers plusieurs camps de réfugiés ivoiriens sédentarisés ici depuis la crise ivoirienne de 2010-2011.
C’est enfin à 17h30 soit une demi-heure avant la fermeture de la frontière que j’arrive épuisé au poste frontalier, par chance le douanier libérien est professionnel, il me tamponne mon passeport dans un minuscule bureau tapissé par une affiche avec les portraits de tous les présidents africains en exercice.
Malgré tout Danane reste encore loin et le soleil est déjà en train de se coucher…